Interview Pierre Marie

 

Pierre_Marie

Pierre Marie, INSERM U606

 

SFBTM : Pourriez-vous présenter en quelques mots votre thématique de recherche et votre équipe?
 

PM : L’objectif général des recherches de mon laboratoire est d’identifier de nouveaux mécanismes contrôlant l’ostéogénèse afin de développer des stratégies thérapeutiques capables de favoriser l’ostéoformation et d’inhiber les tumeurs primaires osseuses. Nos travaux ont permis d’identifier plusieurs mécanismes impliqués cellulaires et moléculaires dans différentes pathologies affectant l’ostéoblaste telles que l’ostéomalacie, l’ostéoporose, la dysplasie fibreuse, les craniosténoses et l’ostéosarcome. J’ai également contribué au développement d’un nouveau traitement anti-ostéoporotique et, plus récemment, développé de nouvelles approches thérapeutiques pour favoriser la régénération osseuse à partir de cellules souches mésenchymateuses.

SFBTM : Dans ce domaine, les 15 dernières années ont été fertiles en avancées spectaculaires. Quelles sont les plus marquantes à vos yeux ?
 

PM : Les avancées importantes dans le domaine de l’ostéogénèse ont été dues principalement à l’analyse des pathologies du squelette induites par des mutations génétiques, et aux données obtenues dans des modèles murins grâce au développement des manipulations génétiques chez la souris. Le développement conjoint des analyses génétiques, moléculaires et fonctionnelles a permis initialement la découverte des rôles essentiels de facteurs de transcription tels que Runx2, Ostérix et d’autres facteurs, ainsi que leur régulation au niveau transcriptionnel et post-transcriptionnel. Une deuxième avancée importante est la découverte de l’importance de la voie Wnt dans le contrôle de l’ostéogénèse normale et pathologique. En particulier, on connaît mieux le rôle de la voie Wnt et de ses facteurs régulateurs dans le recrutement et la différenciation des cellules souches mésenchymateuses, données qui ont un impact important dans le domaine de la régénération tissulaire osseuse. Une autre avancée importante est la reconnaissance du rôle de l’ostéocyte dans le contrôle de l’ostéogénèse, rôle joué en partie par la voie Wnt. Une quatrième avancée est la découverte du rôle joué par le système nerveux central dans le contrôle de l’ostéogénèse. Enfin, le rôle potentiel de l’os en tant qu’organe endocrinien, bien que toujours discuté, est certainement un domaine important qui reste à explorer.

SFBTM : Comment devient-on un spécialiste de l’ostéoblaste ? Quelle est votre formation et avez-vous eu un parcours linéaire ?
 

PM : Honnêtement, je ne sais pas si on « devient » un spécialiste d’un domaine donné. A mon sens, un chercheur peut avoir plusieurs parcours possibles en fonction de son expérience, de sa personnalité et bien sûr et des ses propres capacités à entreprendre. Certains chercheurs très doués développent une recherche innovante grâce à leur intuition et à leur créativité hors normes, et sont ainsi les premiers à apporter de nouveaux concepts dans leur domaine. Mais tout le monde n’est pas surdoué ! La majorité des chercheurs développent leur recherche à partir des idées des autres (ce qui n’est pas honteux !) ou en développant leur savoir faire dans un domaine donné (ce qui est très respectable). Ces travaux conduisent à une meilleure connaissance du domaine concerné, même s’ils sont sans doute moins spectaculaires. Ma formation n’est pas très originale : Doctorat de 3ème cycle suivi d’un doctorat d’Etat en sciences, post-doctorat à l’Université Mc Gill de Montréal, puis retour en France dans une unité Inserm avec un poste de chargé de recherche au CNRS en 1982, puis de directeur de recherche en 1990. Dans mon expérience, le post-doctorat est essentiel dans la vie d’un chercheur: ce temps permet de devenir autonome et de trouver l’axe de recherche que l’on veut développer. C’est également au cours du post-doctorat qu’on établit des relations scientifiques et des collaborations qui serviront toute la vie. Par la suite, il faut s’attacher à développer son domaine de prédilection en utilisant tous les atouts dont on dispose (expérience, méthodologie, intuition, collaboration, savoir-faire, persévérance). C’est une des conditions du succès en recherche.

SFBTM : Vous connaissez bien le « gratin » de la recherche sur l’os. Y a t-il des personnalités qui vous ont particulièrement marqué ?
 

PM : Il y a bien sûr plusieurs personnalités qui m’ont marqué et par qui j’ai beaucoup appris. J’ai d’abord été formé en histomorphométrie osseuse par le Dr Philippe Bordier, décédé en 1977. Il m’a enseigné le B.A.-BA de l’os. Je suis d’ailleurs très fier d’avoir récemment pu créer l’ECTS Clinical Award Philippe Bordier en signe de reconnaissance. A l’Université McGill, grâce à Francis Glorieux, j’ai appris à développer des relations scientifiques internationales. Roland Baron est certainement une personne que j’apprécie énormément dans le domaine de l’os par sa rigueur, sa personnalité, et son intelligence. D’autres personnalités maintenant disparues m’ont bien sûr marqué comme Gideon Rodan, Larry Raisz. Plus récemment, je suis très impressionné par le travail de David Scadden à Harvard, mais on pourrait en citer d’autres…

SFBTM : Depuis quand participez-vous aux activités de la SFBTM et que vous apporte cette fréquentation ?
 

PM : Je crois que j’ai été membre des JFBTM dès la deuxième année de leur création. J’ai ensuite participé au conseil scientifique de la sfbtm et organisé avec d’autres chercheurs la réunion annuelle en 2004 à Versailles et plus récemment en 2011 à Paris. Je pense que les journées scientifiques de la sfbtm sont très importantes car elles permettent aux jeunes étudiants et post-doctorants de présenter leurs travaux sous forme orale ou affichée et éventuellement d’être récompensés. Cela leur permet de prendre confiance en eux (c’est souvent leur première expérience de rencontre scientifique), de rencontrer des chercheurs de leur âge ou plus anciens avec qui ils peuvent échanger librement. Ceci sans compter les aspects festifs qui permettent d’établir des rapports amicaux entre les chercheurs de toute la France. C’est indéniablement un grand succès, comme on a pu le constater récemment à la dernière réunion parisienne.

SFBTM : Quel est votre secret pour transmettre aux plus jeunes la passion de la recherche sur l’os ?
 

PM : Je ne crois pas qu’il y ait un secret. Pour moi, j’essaye de transmettre aux jeunes étudiants et post-docs ma curiosité, mes questionnements, mon esprit critique, et aussi l’autonomie en recherche. J’essaye simplement de les faire réfléchir par eux-mêmes sans imposer mes vues, et cela les aide à progresser. Je suis toujours très heureux lorsque je vois un étudiant s’épanouir en terminant d’écrire sa thèse car il ou elle découvre alors que ses travaux apportent de nouvelles connaissances dans un domaine donné. J’ai bien souvent constaté que le séjour au laboratoire de ces jeunes a bien souvent fait évoluer leur personnalité. Ils sont plus autonomes et ont acquis pour la plupart l’envie de continuer en recherche, dans des domaines scientifiques fondamentaux ou plus appliqués, selon leur goût. Peut-être que mes encouragements, mon encadrement, l’aide que j’ai pu leur apporter, les ont aidé à acquérir cette passion, et si c’est le cas, j’en suis très heureux.

 

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