Interview Patricia Ducy

 

Patricia_Ducy

Patricia Ducy, Columbia University, NY

 

SFBTM : Patricia Ducy bonjour et merci de nous accorder cet interview pour la SFBTM. Quel a été votre parcours scientifique ?
 

PD : J’ai fait mes études à l’Université de Lyon 1, en suivant un parcours classique DEUG, licence, maitrise, et j’ai été tout de suite attirée par la biologie moléculaire qui commençait à exploser. J’ai eu la chance d’intégrer le laboratoire du Pr. Garrone qui faisait à l’époque plus de l’évolution et collagène que de la biologie moléculaire mais il avait vision du futur. Ma thèse a été focalisée sur le séquençage des gènes de l’actine dans les éponges. J’ai appris à me débrouiller et à créer des outils. Cela a été une ouverture sur le raisonnement scientifique. Si j’ai effectué un travail plutôt fondamental pendant ma thèse, j’étais intéressée de poursuivre ma formation par quelque chose de plus proche de la physiologie humaine tout en restant en biologie moléculaire.

1er coup de chance : un jour le Pr. Gérard Karsenty est venu faire un séminaire à l’IBCP à Lyon et je me suis dit « c’est ça que je veux faire ». Etudier les mécanismes de régulation transcriptionnelle des gènes de collagène. J’ai été voir Robert Garonne et lui ai dit je veux aller “là“. Et, deux mois plus tard je partais pour Houston…

2ème coup de chance extraordinaire : Allan Bradley développait des KO de l’autre côté de la rue à Baylor. Toutes les techniques de biologie moléculaire étaient en effervescence à ce moment là.… et j’ai suivi le flux. Il y a eu des hauts et des bas. Le succès du KO dépend du gène mais aussi de la façon dont on l’étudie. Autour de moi il y avait des souris sans tête, sans cœur, sans bras… mais, comme disait Gérard Karsenty, « ce n’est pas cela qui va aider la médecine ». Gérard avait une vision plus médicale que les autres et était plus intéressé par les gènes de structure ou de fonction.

On a fait le KO d’ostéocalcine (OCN) puis de MGP (Matrix Gla Protein). Drame des souris OCN KO: elles étaient normales… ! Pour MGP, heureusement elles se sont mises à mourir au bout de 2 mois…

Avec le travail sur ostéocalcine je me suis rendu compte qu’on ne trouve que ce que l’on cherche.

Le parcours vers l’os : mon Mentor de post-doc avait une formation en endocrinologie. L’os était un organe relativement ignoré à l’époque car difficile à étudier. Ca ne pousse pas en culture… On n’est pas excité immédiatement. Ce n’est pas comme un cœur qui bat ou le cerveau. Mais il y avait beaucoup de choses à faire et avec l’arrivée des souris KO on allait vraiment pouvoir étudier l’os !

 

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Ilot de Langherans du pancreas marque pour l’insuline (rouge, cellules beta), les cellules en cours de division (vert) et les noyaux cellulaires (blue). L’osteocalcine produite par le squelette favorise la proliferation des cellules beta.

 

SFBTM : Pourquoi venir faire de la recherche aux USA ?
 

PD : C’est vraiment important de venir aux USA. Il y a une culture de la science et de la compétition très formatrice, et il est important d’y être confronté. Mais le budget de la science a baissé de 25% en 8 ans et ce n’est plus aussi rose que lorsque je suis arrivé en post-doc. La collaboration est dans la culture américaine. Il existe des conglomérats de petites équipes. Mais le revers de la médaille est que la science est très précaire aux USA ; si on n’a pas de bons projets, on n’a pas de grant, et pas de job ! Cercle vicieux qui peut s’avérer un peu difficile et qui peut couper la créativité, mais ça pousse à faire des choses qui vont marcher. Tout le monde est dans le même cas: les assistant professeur, les post-docs,… tout le monde est poussé vers le haut : on travaille plus, on essaye plus, on est porté par ce dynamisme.

Dans toutes ces grandes universités il y a aussi beaucoup de séminaires (un par semaine dans chaque département). On est exposé à toutes les disciplines à l’intérieur de la biologie, et ça ouvre des portes. En plus, avec cet esprit de collaboration qui existe partout, on va plus facilement aller discuter avec le speaker et imaginer des approches similaires dans d’autres organismes.

Au niveau post-doc, il y a deux choses : on a besoin d’avoir cette ambiance qui pousse et il y a un certain troma qui va avec, et qui est assez formateur : on se retrouve dans un pays qui marche différemment, avec une autre langue, on est obligé de puiser dans ses ressources pour avancer : ça donne le sentiment d’être capable de surmonter les obstacles. En France, j’étais un peu dans une routine, il n’y avait rien qui me réveillait la nuit ; ce n’était pas pareil. Je ne peux pas rester dans la queue du train, il faut que je me bouge. Tout le monde le fait. On a envie de connaître le résultat, il y a une passion qui est partagée par tout le monde. On a des « lab meeting » constamment, tout le monde parle science. Il y a quand même une ambiance qui facilite les choses.

On n’est pas obligé de rester aux USA, mais on ne vient pas non plus pour un an. Deux ans c’est un minimum, en particulier si on a un projet souris ; un post-doc ça dure en général trois ans. Au bout d’un an on a pris le rythme mais ça commence réellement à payer au bout de trois ans aussi bien en terme de façon de penser qu’en ce qui concerne la démarche scientifique.

SFBTM : Est-ce facile de venir chez vous ? Comment s’y prendre ?
 

PD : Oui c’est très facile. On peut me contacter par mail en envoyant un CV et une mini-lettre de motivation, puis on échange par “Skype“ ou on se téléphone. Cela aide si les post-docs peuvent venir faire un séminaire et rencontrer tous les membres du labo. Chacun peut alors lui présenter son projet. On peut poser toutes les questions.

Si on arrive déjà avec une bourse, on vous accueille à bras ouverts mais même si vous n’en avez pas, on aide les post-docs à écrire un projet en répondant à un appel d’offre d’une fondation. Les étudiants en thèse sont extrêmement bien formés en France, ils savent réfléchir, ils savent travailler et faire de la science, mais ils ne savent vraiment pas présenter les choses…. ! C’est le syndrome français typique : « la manip a moyennement marché car le contrôle du contrôle, du contrôle… n’a pas marché ! » Il faut apprendre à relativiser. Les étudiants français doivent savoir que faire de la science au XXIème siècle c’est savoir travailler à la paillasse, savoir réfléchir à ses manips, mais aussi savoir se vendre ! Il ne savent pas écrire leur demande de « grant », et ne savent pas présenter. Les étudiants américains ont une meilleure maîtrise de la présentation même si les résultats ne sont pas meilleurs. Les « lab meeting » chez nous sont formels avec une présentation « powerpoint », une introduction, un background,… c’est un talk d’une heure et demi ! Et tout le labo pose des questions. Mais à la sortie, ils savent défendre leur bifteck …

 

Columbia

 
SFBTM : Quels sont les sujets du labo qui vous tiennent à cœur…
 

PD : Dans le labo on fait des KO, et des fois, on s’aperçoit que l’on n’a pas fait le KO pour la bonne raison mais on va tout de même suivre la souris. On va essayer de comprendre ce qui se passe même si on est très orienté sur la physiologie. Depuis que nous avons commencé à travailler sur le squelette, nous sommes convaincus qu’il n’est pas isolé à faire son « petit business » mais qu’il a un rôle très important à jouer comme donneur et receveur d’information. Donc nous mettons tous nos efforts pour étudier ces connections. Dans mon labo on étudie plus spécifiquement les relations entre le cerveau qui parle à l’os, et l’os qui parle au pancréas. Mais je ne sais pas si dans deux ou trois ans je ne vais pas travailler sur le foie… On veut savoir comment le corps marche ! Si les candidats possèdent une curiosité scientifique élevée, ils vont trouver dans l’environnement de Columbia l’accès à de nombreuses expertises dans des domaines très divers.

 

SFBTM : Le retour vers la France, y pensez-vous ?
 

PD : Oui, je commence à y penser car je trouve qu’il y a eu énormément de progrès en France au niveau du financement, et de la mentalité : les gens qui ont un désir de faire quelque chose et de le faire bien avec une volonté d’avancer sont soutenus et récompensés, et c’est quelque chose qui m’attire. La formation des étudiants est vraiment exceptionnelle et les gens sont vraiment très bon en sciences, et puis il y a l’accès aux plateformes techniques des organismes de recherche que l’on n’aura jamais ici. Aux USA on paye absolument tout… tout est comptabilisé.

 

Interview réalisé par Georges Carle, pour la SFBTM

 

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