Georges BOIVIN, INSERM U1033
Fraichement de retour du Congrès de l’ECTS à Rome où il a principalement assisté à des sessions cliniques, Georges Boivin, Directeur de recherche émérite dans l’équipe « Os et maladies chroniques » (Prof. Roland Chapurlat) de l’Unité INSERM 1033 (Directeur Dr. Philippe Clézardin), a accepté de répondre à mes questions en vue du séminaire « Minéralisation osseuse » qu’il organise le jeudi 26 mai prochain à Lyon.
SFBTM : Georges, ta contribution à la connaissance de l’os humain est unanimement reconnue, mais peux-tu nous dire comment tu en es arrivé à travailler sur ce tissu ?
GB : Par les poissons !
Plus sérieusement, jeune étudiant en DEA à Paris dans les années 1970, je cherchais un stage en rapport avec la biologie des poissons, et j’ai trouvé un stage portant sur leur formation squelettique chez le Prof. Yves François, quai St Bernard à Paris (aujourd’hui ce laboratoire est celui de Jean Yves Sire). J’ai travaillé alors à évaluer des marqueurs vitaux (tétracycline et alizarine par exemple) pour visualiser le modelage osseux chez la truite entre autres. Ne trouvant pas de financement pour poursuivre mon doctorat sur cette thématique, le hasard m’a fait rencontrer le Prof. Charles Albert Baud qui dirigeait l’Institut de Morphologie de la Faculté de Médecine de Genève et qui cherchait un assistant doctorant. J’ai été sélectionné et au lieu d’y rester trois ans, j’y suis resté dix ans ! Pendant ces années, j’ai appris, dans des modèles de calcification induite chez le rat par calcergie (injection d’un agent calcergène) ou calciphylaxie (perfusion du rat à la vitamine D puis injection en un site unique de chlorure de fer), à analyser les différentes étapes de la minéralisation et à évaluer l’impact d’une calcification ectopique sur le tissu osseux adjacent. C’était l’époque où deux écoles, «vésicules matricielles » versus « fibrilles de collagène », s’affrontaient sur l’étiologie du processus de minéralisation initiale. Dans le même temps, j’ai gravi plusieurs étapes : thèse de 3ème cycle, thèse d’état, assistant, maitre-assistant et enfin chargé de recherche, mais il n’y avait pas de poste d’assistant professeur disponible, donc je devais quitter Genève.
Là encore, le hasard a bien fait les choses ! En 1980, me rendant pour la première fois aux Etats-Unis pour assister à deux congrès (Histomorphométrie à Sun Valley et le premier ASBMR ouvert aux chercheurs non américains à Washington), j’ai rencontré le Prof. Pierre Meunier, chef du Service de Rhumatologie aux Hospices Civils à Lyon et surtout directeur d’une toute nouvelle Unité INSERM (234) travaillant sur l’histomorphométrie osseuse. Nous avons décidé de présenter ma candidature à l’INSERM afin d’étoffer son Unité. En 1982, j’ai été recruté comme chargé de recherche et j’intègre alors l’Unité 234 pour travailler sur des biopsies osseuses humaines.
SFBTM : Commence alors des années de travail où tu as contribué à créer un lien très fort entre le lit des malades et la biologie.
GB : Oui ; en arrivant de Suisse, Pierre Meunier m’a demandé de mettre au point des techniques d’analyses par immunomarquage de coupe d’os non décalcifié (TEM). J’ai analysé la localisation de la vitamine D, de son récepteur, de la calcitonine, de la PTH ….. Suite à mon expérience acquise à Genève, j’ai également développé l’analyse des biopsies par Micro-analyse X et microradiographie quantitative. Vers 1995, nous avons pu acheter notre premier générateur de rayons X. Grâce à ces différentes approches, j’ai analysé des biopsies de patients ostéoporotiques à l’époque traités par des sels de fluor, mais aussi celles de patients intoxiqués au fluor (en particulier chez les gros buveurs d’eau de Vichy St Yorre !!!). Je suis ensuite progressivement devenu un expert de la qualité osseuse.
SFBTM : Puisque tu travaillais sur des tissus de patients ostéoporotiques, tu as fortement contribué à évaluer l’impact des anti-résorbants osseux sur la qualité de l’os. Peux-tu nous en dire d’avantage.
GB : Les premiers anti-résorbants utilisés en clinique ont été les bisphosphonates et en particulier l’alendronate. Il a été rapidement établi que ces traitements augmentaient la densité osseuse sans modifier la masse osseuse. Grâce à la microradiographie, j’ai étudié finement les biopsies de patients traités et montré que ces traitements certes augmentaient la densité osseuse mais aussi la densité minérale tissulaire (degré de minéralisation). Un traitement prolongé (7-10 ans) engendre cependant une modification de la qualité du minéral osseux. J’ai récemment montré que le degré de minéralisation augmentait aussi avec un autre traitement antirésorptif, le Denosumab (un anti RankL). Il reste maintenant à préciser l’effet à long terme de ce traitement sur la minéralisation et sur la qualité des cristaux constituant la minéralisation.
SFBTM : Aujourd’hui on a moins tendance à effectuer des biopsies osseuses des patients ; comment avez-vous recentré votre recherche ?
GB : En effet, aujourd’hui nous recevons moins d’une centaine de biopsies par an (au lieu d’environ 800 dans les années 1990), les techniques d’imagerie actuelles combinées aux dosages biologiques sanguins permettent en effet d’établir un diagnostic fiable sans nécessiter de faire une biopsie osseuse au malade. Cependant, pour affiner l’effet de certaines thérapies, dans le cadre de pathologies plus complexes, telles les maladies rares, ou encore de grandes études cliniques de phase III, les biopsies iliaques apportent de précieuses informations.
SFBTM : Que peux-tu donc recommander aux jeunes chercheurs qui se lancent dans la recherche sur l’os ?
GB : De continuer à se diriger vers le tissu osseux, de vastes domaines sont encore à étudier avec les approches de la qualité osseuse à tous ses niveaux d’analyse, mais aussi par biologie cellulaire, biomécanique et avec les nouvelles techniques non invasives d’analyse osseuse. Je crois qu’il faut aussi continuer à garder un fort lien avec la clinique. Pierre Meunier était toujours d’accord avec les investigations osseuses que je lui soumettais à condition que je puisse au final répondre à la question : « à quoi c’est utile pour le patient ??».
Je n’ai pas fait tout cela tout seul et je tiens à remercier vivement mes collègues, collaborateurs et étudiants qui ont largement contribué à la reconnaissance de mes travaux. C’est aussi un message pour les jeunes, la recherche est un travail d’équipe et non une aventure solitaire.
SFBTM : Merci Georges pour cette belle aventure et dans l’attente de la journée du 26 mai qui s’annonce passionnante !
Interview réalisé par Catherine Chaussain, pour la SFBTM