Interview Luc Malaval

 

Luc_Malaval

Luc MALAVAL, U1059, Saint-Etienne

SFBTM : Vous êtes un des fondateurs de la SFBTM, que pensez-vous du développement de votre « bébé » et pensez-vous qu’il soit arrivé à maturité?
 

LM : Au cours des « quelques » années qui se sont écoulées depuis les premières JFBTM (janvier 1998), j’ai été impressionné par leur succès constant, et j’ai pu mesurer leur impact en termes d’animation de notre champ d’activité. J’ai rarement participé à une manip qui ait marché aussi bien ! Bien sûr, on peut souhaiter faire mieux encore, par exemple en ce qui concerne les échanges d’étudiants entre laboratoires, et en matière d’animation du champ. Mais je trouve déjà remarquable le point où nous en sommes aujourd’hui, qui témoigne de la vitalité de notre domaine de recherche, ainsi que du dévouement des nombreuses personnes qui ont œuvré au développement de la SFBTM au cours des années. L’affluence prévue au prochain congrès de Limoges témoigne de ce succès, et me fait un très grand plaisir.

SFBTM : Pouvez-vous nous résumer votre parcours scientifique et votre rencontre avec les tissus minéralisés?
 

LM : Quand j’étais tout petit… hum… pour aller plus vite, peut être, j’ai fait une thèse de troisième cycle (1982) où j’étudiais la morphophysiologie (microscopie électronique, stéréologie, histochimie) des muscles d’un invertébré marin, Beroe ovata – qui est un Cténaire, comme la « Groseille de mer » ou la « Ceinture de Vénus », des animaux peut être mieux connus. Un travail récent de phylogénie moléculaire a montré que les Cténaires sont le « groupe-frère » de tous les autres métazoaires – « l’autre » règne animal, en quelque sorte. Si on pousse un peu, on peut dont dire que j’ai commencé en xénobiologie ! Après ma soutenance, je suis entré, plutôt par hasard en fait, dans le laboratoire INSERM de Pierre Meunier, pour y travailler avec Pierre Delmas sur le développement de marqueurs circulants du métabolisme osseux – dont l’ostéocalcine. C’est ainsi que j’ai découvert le squelette et sa biologie. Le début des années 80 était justement le moment où la biochimie du tissu osseux se développait enfin, et je suis devenu après mon recrutement à l’INSERM un biochimiste des protéines matricielles. Au début des années 90, un formidable séjour de 2 ans à Toronto, dans le laboratoire de Jane Aubin avec qui j’ai toujours le privilège de collaborer, m’a fait m’orienter vers les questions de différenciation ostéoblastique et de recrutement des ostéoprogéniteurs. Les travaux de caractérisation des modèles in vitro d’ostéogenèse que nous avons réalisé avec Jane durant les 10 années suivantes ont je crois été d’une certaine utilité pour notre domaine. En 2004 (10 ans déjà !)  j’ai rejoint le groupe dirigé par Laurence Vico à Saint-Etienne, dans lequel j’utilise en particulier des techniques d’expérimentation animale pour analyser le rôle de certaines protéines matricielles du tissu osseux dans la biologie du squelette et sa réponse aux défis environnementaux, dont les contraintes mécaniques.

SFBTM : Sur quoi travaillez-vous actuellement? Quelles sont les interactions avec les thématiques de votre unité ?
 

LM : Mon activité actuelle est double. D’une part, je poursuis des travaux sur les protéines de la famille des SIBLING, en particulier la BSP et l’ostéopontine (OPN), en utilisant en particulier des souris génétiquement modifiées, dont certaines que nous produisons nous même. D’autre part, nous développons des cultures in vitro d’ostéogenèse en 3 dimensions sur support d’hydroxyapatite, perfusées et soumises à contrainte mécanique, avec pour objectif de réaliser un modèle de tissu osseux qui permettra de répondre, dans des conditions expérimentales contrôlées, à des questions physiologiques précises. Celles ci peuvent concerner par exemple l’impact de certaines protéines matricielles dont… les SIBLING. Ceci s’inscrit dans la thématique générale de notre équipe (Biologie intégrative du tissu osseux), en particulier sous l’axe « microenvironnement ». Les collaborations sont fortes en particulier avec l’axe de l’équipe qui s’intéresse à la vascularisation osseuse (Marie-Hélène Lafage, Bernard Roche), car les SIBLING sont directement impliqués dans l’angiogenèse.

SFBTM : Pourriez-vous nous résumer l’actualité sur la famille des SIBLING?
 

LM : Les « Small Integrin-BindingLIgand, N-linked Glycoproteins » (OPN, BSP, MEPE, DMP1 et DSPP) sont codées par des gènes qui sont alignés l’un après l’autre sur le même chromosome (4 chez l’homme, 5 chez la souris). Phylogénétiquement, comme Jean-Yves Sire a eu l’occasion de nous l’expliquer, leur apparition coïncide avec le développement de l’os endochondral, ce qui indique leur importance pour cet organe, même si elles sont aussi exprimées dans d’autres tissus.  La DSPP est surtout importante dans la dent, et les travaux actuels sur MEPE et la DMP1 sont focalisés sur leur rôle majeur dans la minéralisation et le métabolisme phosphocalcique, en particulier en interaction avec l’hormone osseuse FGF-23. L’OPN est la « vedette » des SIBLING presque depuis sa découverte, mais les travaux sur cette protéine ubiquitaire, véritable « cytokine », portent essentiellement sur d’autres tissus, tant sont nombreux les domaines dans lesquels elle intervient. Outre son importance pour l’activité des ostéoclastes, son rôle le plus spectaculaire établi à ce jour dans l’os est l’inhibition de la minéralisation matricielle. La BSP et l’OPN sont co-exprimées dans les cellules osseuses. Nos travaux ont montré que la BSP joue un rôle régulateur important de l’ostéogenèse, en particulier dans l’os primaire, et de la résorption, mais aussi d’autres fonctions squelettiques comme l’hématopoïèse. Tandis que certaines fonctions de la BSP peuvent être compensées par l’OPN, les rôles de ces deux protéines apparentées apparaissent souvent comme distincts ou même antagonistes. Des expériences de double extinction apparaissent nécessaires pour clarifier les rôles respectifs de ces deux SIBLING dans les multiples processus où elles sont impliquées, et c’est l’objet de notre activité actuelle.

SFBTM : Décrivez-nous l’environnement scientifique stéphanois.
 

LM : Si Claudine Blin nous a parlé de la faible taille de la communauté scientifique niçoise, que dire de Saint-Etienne ! Mais c’est largement compensé par la proximité de Lyon, où de très utiles collaborations peuvent être développées, ainsi que par le réel intérêt des collectivités locales pour le soutien à l’activité de recherche, qui est très remarquable et doit être souligné. Je mentionnerai aussi l’existence d’un tissu local de PME du domaine biomédical. Le soutien de l’Université Jean Monnet est aussi plus facile à obtenir, bien sûr, quand on est peu nombreux… Il reste qu’il se fait autour de nous, et singulièrement au sein de notre SFR IFRESIS, beaucoup de travaux de grande qualité. Pour autant, la faible taille oblige à ne pas se disperser, et l’avenir passera sans doute par de restructurations en laboratoires plus grands, ce à quoi nous travaillons dans la perspective du prochain contrat quinquennal.

SFBTM : Vous êtes chercheur INSERM et éditeur académique pour PLoS One, est-ce difficile de concilier ces deux activités?
 

LM : Non, ce n’est pas en soi trop difficile. Passer « de l’autre côté » a d’ailleurs constitué une expérience intéressante, et j’ai passé environ un an à « prendre mes marques » sur une activité éditoriale qui était nouvelle pour moi. Découvrir à quel point il est (quelquefois) difficile d’intéresser les collègues à la révision d‘un article m’a rendu (un peu) plus patient avec les éditeurs qui « font trainer » les miens… J’en profite pour rappeler à tous à quel point cette activité est importante, et cela d’autant plus que votre spécialité est petite et vous semble peu considérée (je pense à la biominéralisation, par exemple). Réviser pour les collègues, c’est aussi soutenir sa propre activité, et une communauté de réviseurs actifs contribue à la qualité, mais aussi la visibilité d’un domaine scientifique.

SFBTM : Seriez-vous tenté de rejoindre le conseil d’administration de la SFBTM?
 

LM : Comme vous avez eu la gentillesse de le mentionner, j’ai « déjà donné » dans les débuts de l’association…  Après tout, l’expression « place aux jeunes » n’exprime pas seulement de la magnanimité !   Je suis néanmoins prêt à effectuer pour la SFBTM des tâches spécifiques pour lesquelles je me sentirais compétent – et à exprimer franchement mon opinion en Assemblée Générale, d’une manière que j’espère constructive…

 

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